>Démarche artistique
>Artistic approach


Donner une chance de survie à l’actualité

Paul Ardenne


De l’information, André Gide disait : elle est ce qui m’intéressera plus aujourd’hui que demain. Manière polie mais implacable de signifier que rien, médiatiquement parlant, ne dure ni ne s’enracine dès qu’il s’agit de l’actualité. Un événement chasse l’autre, une émotion née de l’information courante laisse place à une autre émotion, les journaux et les magazines s’amoncellent dans nos poubelles, le cortège des faits construisant le monde tel qu’il va ne laisse que peu de traces dans notre espace mental, voire pas.

Alexandrine Deshayes, à sa façon, travaille pour la rédemption – celle des images perdues de l’actualité, condamnées à un flux incessant et à une perte à la fois substantielle (on les oubliera) et ontologique (si l’on oublie l’image d’actualité, en vérité, c’est faute qu’elle vaille quelque chose).

Cette jeune artiste normande (elle est née en 1981) conçoit en effet de la manière suivante, éminemment salvatrice, son travail créatif, depuis ses études aux Beaux-Arts de Caen : utiliser des images volées à l’actualité, qu’elle caviarde au jour le jour dans les journaux, à la télévision ou sur Internet, pour en faire le sujet de ses peintures. De vraies peintures, précisons-le. Travail d’atelier et recours au grand format, comme le veut pour l’occasion ce qui va devenir sous son pinceau une fort inattendue « peinture d’Histoire ». Une vue volée de la révolution du « Printemps arabe », du camp US de Guantánamo, de la vie des SDF dans nos cités, d’une plage de l’Espagne méridionale sur laquelle vient de débarquer un clandestin fourbu venu d’Afrique, une image d’information choisie chaque mois de l’année 2010 et appelée à servir de base à une chronique picturale du temps… prennent ici rang de représentations d’élite, de focalisations transcendées. Tirée hors du champ de sa banalité native, l’image d’actualité se découvre au passage transfigurée par l’acte pictural et le travail de l’art, elle prétend dès lors au statut d’icône. Sacralisation pour le moins inattendue.

Laissons l’artiste s’exprimer, qui dit les choses sans détour, s’agissant de ses intentions : « La première image de presse dont je me suis inspirée illustrait un article sur les ravages de l’ouragan Katrina, à la Nouvelle-Orléans, en 2005. On y voyait un enfant en pleurs… » Alexandrine Deshayes précise : « Ce qui m’a interpellée, dans cette image, c’est l’expression de la souffrance générée par l’injustice. Ma problématique est là : comment apporter une réponse plastique à mes interrogations sur les inégalités sociales ? Comment esthétiser ce qui représente un défi à toute esthétisation – l’injustice, l’intolérance, les conflits sociaux, l’expression du peuple face au pouvoir politique ? »

Terme inapproprié, décalé ou anachronique que celui de « rédemption » des images ? Non, de fait. Telle qu’Alexandrine Deshayes la retraite (la « recycle », pour reprendre un terme emprunté à l’économie durable), l’image d’actualité acquiert non seulement une deuxième vie mais aussi, au-delà même de la survie, une autonomie salutaire. Cette peinture n’est en rien formaliste, gratuite, décorative ou de plaisance. Elle n’est pas plus anecdotique. Son objectif ? Garantir cet ancrage visuel de nature à permettre au spectateur mis devant l’image une réelle imprégnation optique, sensible et réflexive.

À quelle fin encore, demandera-t-on ? Il y a chez Alexandrine Deshayes, éclatante, affirmée, assumée, une intention politique, et des meilleures, soit dit en passant. Témoigner, garder les yeux et l’esprit grand ouverts, faire de l’esthétique un combat éthique sans s’en laisser conter par les sirènes du consensus, tel est en vérité l’autre moteur de l’artiste, de l’ordre de l’engagement humaniste. « Apporter des réponses plastiques à des questionnements d’ordre politique et social », dit ainsi Alexandrine Deshayes de son œuvre, qui avertit, en militante que révulse l’inhumanité croissante du monde contemporain : « j’ai décidé de ne pas faire de choix entre ma pratique artistique et mon intérêt pour la vie politique et sociale. »

Circulez, images. Ici il y a quelque chose à voir !


Démarche artistique

Dans la tradition des peintres d’histoire Alexandrine Deshayes s’empare de l’actualité pour en faire le sujet de ses toiles. Dans les premières années suivant la fin de son cursus, procédant d’une démarche systématique, elle transpose des images de presse en peinture ; l’image informative devient sous son pinceau une oeuvre picturale pérenne.

L’histoire de l’art et les médias de masse constituent depuis une double source iconographique dans laquelle elle puise ses sujets et les figures qu’elle met en scène dans ses compositions. Ansi les mythiques Sabines côtoient les lycéennes de Chibok, dans une série évoquant le cycle perpétuel de la violence ; dans Mare nostrum des éxilés venus d’Afrique se réfugient sur le Radeau de la Méduse, figeant dans la forme picturale la manifestation d’un phénomène constitutif de l’histoire.

La peinture d’Alexandrine Deshayes, témoignage pictural du regard sensible et distancé que l’artiste porte sur notre époque, entre ainsi en résonance avec la pensée humaniste de Leon Battista Alberti qui définit la peinture comme  » une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire ».

Artistic approach

Following her studies, with a systematic approach, true to the tradition of history painters, Alexandrine Deshayes nourishes her art with media images she turns into paintings. her depiction of the information image becomes a perennial work. Art history and mass media have sinc become a double iconographic source from which she draws her subjects and the figures she portrays in her paintings.

Thus, the mythical Sabines meet the students of Chibok, in a series of paintings that conjure up the cycle of violence ; in Mare nostrum exiles from Africa take refuge on the Raft of the Medusa, thus immortalizing in pictorial manner the manifestation of a constitutive phenomenon of history.

The painting of Alexandrine Deshayes form a testimony and reveal the artist’s sensitive and distanced outlook on our time ; they echo the hummanistic thought of Leon Battista Alberti who defines painting as « an open window through which to look at history ».